A l'occasion des Journées du Patrimoine 2025 a été organisé, par la bibliothèque des Facultés Loyola Paris en lien avec la Bibliothèque Orientale de Beyrouth, un évènement comprenant une exposition, une conférence, des projections de films et une présentation d'ouvrages sur les "Jésuites au Liban et au Proche-Orient". 

Dans le cadre de cet évènement sur les "Jésuites au Liban et au Proche-Orient", la présentation d'ouvrages anciens de la bibliothèque a permis d'évoquer la première présence jésuite au Liban et au Proche-Orient, de 1578 à 1773. Cette histoire, moins connue que celle du deuxième établissement des jésuites au 19è, est relatée dans La première mission de la Compagnie de Jésus en Syrie de Gabriel Levenq s.j.

Envois de légats jésuites au Liban (1578-1596)

En 1578, soit trente-huit après la création de la Compagnie de Jésus, le pape envoie des légats au Proche-Orient afin que les maronites soient informés des décisions du Concile de Trente (1542-1563). Cette légation est composée de deux jésuites, Jean-Baptiste Eliano et Thomas Ragio.

En 1584, une deuxième légation jésuite est envoyée, toujours avec Jean-Baptiste Eliano et Jean Bruno : elle amène à la création d’un collège maronite à Rome, géré par la Compagnie de Jésus.

En 1596 enfin, une troisième légation, composée des jésuites Jérôme Dandini et Fabio Bruno est chargée par le Pape Clément VIII de s'assurer de l'orthodoxie des maronites et de préparer un Concile de l’Eglise maronite. 

La relation de ce dernier voyage fut d'abord publiée d’abord en italien en 1656 puis fut traduite en français en 1685 sous le titre Voyage du Mont-Liban, où il est traité tant de la créance et des coutumes des maronites, que de plusieurs particularités touchant les Turcs.

L’auteur, Jérôme Dandini (1552 -1634), italien, narre sa mission : bien qu'il ne comprenne ni le syriaque ni l’arabe, il obéit aux ordres du Saint-Père et part de Venise le 14 juillet 1596 avec un compagnon jésuite et deux écoliers maronites du collège de Rome qui doivent servir d’interprètes et de domestiques. Tous se déguisent en pèlerins de Terre sainte et changent de nom pour échapper aux tracasseries turques. À la fin du mois, ils abordent à Tripoli, puis arrivent le 1er septembre au monastère de Qannoubine, résidence du patriarche des maronites, dans le nord du Liban. Jérôme Dandini rencontre sur place des maronites, qu'il juge pieux et vertueux. Après avoir rencontré le patriarche des maronites, puis assisté à la mort de celui-ci, Dandini convoque un synode qui confirme les maronites dans leurs fonctions.

 

La mise en place de la mission jésuite (1625-1657)

Entre 1625-1657, cinq missions jésuites vont être créées : à Alep, Damas, Saïda, Tripoli puis Antoura dans le Quesroan. Les fondations de ces missions sont décrites par Joseph Besson s.j., supérieur des missions jésuites en Syrie, dans l'ouvrage La Syrie sainte.

En 1625, deux Jésuites de la Province de Lyon, le savoyard Gaspard Manilier (ou Maniglier) et Jean Stella sont envoyés par le Pape Urbain VIII à Alep en Syrie où sont déjà présents de nombreux marchands et religieux (carmes, franciscains, et capucins). Ils font le voyage de Marseille à Alexandrette en Turquie assez rapidement, en un mois. En revanche, ils sont très mal accueillis à Alep et priés de rembarquer. Rejetés à Malte, ils prennent la décision de revenir à Alep en passant par Constantinople pour s'assurer de supports. Cette fois-ci, ils ne seront pas expulsés. Leur voyage aura finalement pris deux ans.

Les débuts sont délicats et pauvres : Gaspard Maniglier reste un moment seul après le départ de Jean Stella puis est rejoint par l'énergique Jérôme Queyrot. Pendant trente années, la mission d'Alep se limitera physiquement à « trois magasins qui ne prennent jour que par la voûte ». Ce n'est qu'en 1655, que les jésuites, aidés par le consul, François de Picquet, auront une situation moins précaire en devenant chapelains de la chapelle consulaire.

La mission de Damas, en Syrie, est établie quant à elle en 1643 par Jérôme Queyrot, précédemment à Alep. Avec le père Amieu, il ouvre une école dans le quartier franc grâce à un mécène.

Un an plus tard, en 1644, le jésuite François Rigordi, à Damas, aide dans ses derniers moments un jeune marchand français qui lui donne la maison de son père à Saïda. Le père refuse ce don mais François Rigordi parvient à acheter une autre maison pour s'établir.

A peu près au même moment, en 1645, deux chambres sont achetées par la Compagnie de Jésus à Tripoli

Le dernier établissement voit le jour à Antoura, dans le Quesroan (ou Kesroan) : un riche protecteur, le cheikh Abou Naoufal, consul honoraire de France propose l'acquisition d'une maison. Après deux ans de négociations, la maison est achetée et le jésuite François Lambert, auparavant commerçant marseillais et connaissant l’arabe, s'y installe.

Cette période de mise en place est marquée par des questions pécuniaires de soutien de la mission : quelle province française doit en être responsable ? Ce sera au départ la province de Lyon, puis Paris puis l'ensemble des provinces françaises.

Cette période est également marquée de multiples avanies avec les autorités locales turques. Un exemple marquant est la demande de rançon par le Pacha local de 1000 piastres en 1637 pour libérer des jésuites injustement emprisonnés.

 

La vie de la mission (1658-1762)

Les travaux de la mission au Proche-Orient ne sont pas si différents de ceux effectués par la Compagnie de Jésus en France : "on entretient les maronites dans leur foi, on cultive la piété des français". Création d'écoles locales, prédications, accompagnement des congrégationnistes, confessions, communications, accompagnement des malades rythment la vie des bons pères, qui seront, en moyenne, une quinzaine sur place dans la mission.  

Une des principales difficultés est la barrière de la langue : Gaspard Manilier n’a jamais pu apprendre l’arabe, le père Amieu n’a jamais réussi à prêcher correctement en arabe.

Certains néanmoins, formés plus jeunes à l'arabe, y parviennent avec une plus grande aisance : le père Adrien Parvilliers parvient à parler arabe en deux ans, Aimé Chezaud apprend arabe et arménien, le père Nau arrive à prêcher dans un arabe acceptable et compréhensible, même si on mentionne souvent avec sourire « l'arabe des pères ». Deux jésuites se détachent pour leur facilité d'apprentissage : les pères Nacchi et Fromage, qui peuvent entreprendre des œuvres de traduction et la rédaction de dictionnaires pour les besoins locaux.

Ces traductions sont utilisées sous une forme manuscrite car il n'y a pas à cette époque d’imprimerie locale. Alors, pour compléter ces outils, les jésuites demandent régulièrement à leur province d'origine l'envoi de livres en langue arabe.

 La Biblia sacra arabica est un bel exemple du type d'ouvrage utile localement. Editée en 1671 par la Congrégation pour la Propagation de la Foi, spécifiquement à l'usage des Eglises orientales, elle propose, à côté de la vulgate, une version de la Bible en arabe.

 

L'abrégé de la Doctrine catholique du cardinal Robert Bellarmin s.j. (1542-1621), théologien, exégète et apologiste, fait également partie des ouvrages utiles à traduire et à enseigner auprès des populations locales.

C'est le cas aussi du livre de la retraite de St Ignace, ici traduit en arabe par le père Pierre Fromage avec un collaborateur. Ce même Pierre Fromage (1678-1740) est l’orateur du Concile du Mont-Liban, synode maronite qui se tient à Louaizé en 1736 au cours duquel est codifié le droit canon maronite adoptant les usages de l’Eglise romaine.

 

Sur place, certains jésuites s'adonnent à des activités scientifiques : Joseph Jouve, Jésuite lyonnais, après des recherches sur des inscriptions et monnaies nouvellement découvertes donne ainsi la première histoire de Zénobie débarrassée de ses légendes venues du récit romancé de l’Histoire Auguste.

Ces activités savantes ne doivent pas faire oublier le lourd tribut que les jésuites, comme d'autres ordres religieux installés au Proche-Orient, ont payé au service des pestiférés. Il était d'usage que des religieux de chaque ordre se vouent, à tour de rôle, au service des malades. Or, la peste, sur place, est endémique. Ainsi, en 1731-1733, trois jésuites y laissent leur vie, en 1744, cinq, en 1746, neuf. 

 

La dissolution de la Compagnie de Jésus (1662-1773)

En 1762, la Compagnie de Jésus est supprimée en France. La mission du Proche-Orient étant dépendante des provinces de France, elle se trouve réduite à une grande misère et doit être aidée par la charité des locaux.

En 1773, le pape Clément XIV dissout la Compagnie sur l'ensemble du globe. L'ambassadeur de France au Levant, le chevalier de St Priest, essaye de maintenir la présence jésuite. Mais en 1774, il lui est ordonné de signifier le bref de suppression et de disperser les 21 jésuites présents sur place.

Les Lazaristes sont choisis pour succéder aux jésuites et continuer la gestion des écoles qu'ils ont créées ; ils arrivent seulement dix années après, et en tout petit nombre.

Mais les jésuites ne sont pas oubliés. Deux ans après la restauration de la Compagnie par la Bulle Sollicitudo Omnium Ecclesiarum de 1814, est adressée au pape Pie VII une Supplique des procureurs généraux et autres dignitaires des nations grecques, arménienne, maronite et syrienne pour l'envoi de jésuites au Proche-Orient.

En 1862, la réédition de La Syrie de la Terre sainte du Père Joseph Besson, montre que l’expérience du premier établissement de la Compagnie de Jésus au Proche-Orient reste "une référence, avec laquelle les jésuites de la Nouvelle Compagnie, comme une grande partie de l’opinion, entendaient renouer".

C'est ce qui adviendra, avec un déploiement et des fruits encore plus importants que pour la première mission.